2
Questionnement

— Ce que tu me demandes est impossible, Alix. Tu le sais aussi bien que moi. Je suis incapable de sonder la terre de Brume.

Morgana dévisagea le jeune homme. La magicienne avait eu plus de temps que quiconque, du haut de son exil, pour étudier la nature humaine et ce qu’elle engendrait trop souvent comme étrangetés. Ce qu’elle percevait aujourd’hui dans le regard sombre d’Alix, de même que dans tout son être, la dérouta un bref instant. Elle n’avait jamais vécu pareille situation ; le temps, les guerres et la séparation des peuples l’avaient privée de cette possibilité si rare et en même temps si extraordinaire dont Maxandre lui avait autrefois parlé : la mutation d’un Être d’Exception. « Un événement comme celui-là est une bénédiction pour notre terre et les mondes qu’elle protège, s’il se produit parmi nos alliés. Je donnerais ma vie pour en être témoin, ne serait-ce qu’une fois, avec l’espoir de sauver cette terre que je chéris plus que moi-même. » Morgana n’avait pas oublié les paroles de son idole. Avec un pincement au cœur, elle pensa combien elle aurait aimé que Maxandre soit en ce moment à ses côtés pour voir l’un de ses rêves les plus chers en voie de se réaliser. Elle remercia silencieusement Alana pour ce début de renouveau et se jura de prier pour qu’il se poursuive indéfiniment. Elle se garda bien de parler au Cyldias de sa découverte. Il devait d’abord être en paix avec ce qu’il savait déjà. Elle ne lui dit pas, non plus, que si ce qu’elle percevait était bien réel, il n’aurait bientôt plus besoin de personne pour retracer Naïla dans les autres mondes…

 

* *

*

 

Quelque part, sur le rivage d’un lac oublié des hommes, Kaïn réfléchissait justement à ce que le début de mutation d’Alix impliquait. En tant que Sage, il détectait immédiatement un changement de ce genre. Il se demanda, pour la millième fois au moins depuis qu’il suivait le cheminement de cet Être d’Exception si particulier, si le jeune homme devait être considéré comme un ami ou un ennemi… Lui et Alix étaient tellement semblables que la situation ne pouvait que devenir explosive s’ils se croisaient.

 

* *

*

 

Bien avant de formuler sa demande, Alix s’était douté de la réponse que lui ferait Morgana. Toutefois, il se devait d’essayer, soucieux d’éviter l’ultime alternative : Wandéline. Cette sorcière lui vouant une haine farouche et quasi irréversible, il voyait mal comment il pourrait la convaincre de lui venir en aide. Il tenta de cacher son désarroi et sa frustration à Morgana, mais n’y parvint qu’à demi. La vieille femme, il s’en doutait, lisait en lui comme dans un livre ouvert. « Certains dons sont une plaie pour autrui même s’ils sont une bénédiction pour leur possesseur », pensa-t-il.

— Pourquoi ne demandes-tu pas simplement pardon à Wandéline ? Cette faute remonte loin dans ta jeunesse et il serait sain, pour toi comme pour elle, de tirer définitivement un trait sur cette histoire.

— Allez donc le lui expliquer, répliqua Alix, la mine sombre et résignée. Je doute qu’elle voie les choses sous le même angle. De toute façon, advenant que je prenne le risque de me pointer là-bas, je ne suis même pas certain d’avoir le temps de dire quoi que ce soit avant qu’elle ne mette fin à mon existence.

Morgana ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel, pleinement consciente qu’il y avait du vrai dans ce qu’Alix disait, même si le jeune homme était protégé de par son ascendance. Du moins, il le devrait…

— Ne pouvez-vous pas l’amadouer pour moi ?

La question avait été posée avec candeur, comme un gamin qui quête une friandise, sachant pertinemment que quelques minutes seulement le séparent de l’heure du repas. Morgana voulut protester. Alix ne lui en laissa pas le temps.

— Comme vous êtes une Fille de Liane, elle se doit au moins de vous écouter, non ? C’est déjà plus que ce qu’elle acceptera de faire avec moi. Et si je meurs, vous savez ce que risquera Naïla… Si elle revient jamais…

Alix avait marmonné la dernière phrase, comme si le simple fait d’énoncer ses craintes à voix haute pouvait en précipiter la réalisation. Il ne regardait plus Morgana. Il fixait l’horizon, espérant presque voir la Fille de Lune qui le hantait apparaître au loin, réglant temporairement le problème insoluble qu’elle représentait. Il expira bruyamment, ayant l’impression qu’il ne parviendrait jamais à redonner à ce monde sa splendeur d’antan. Les dieux semblaient s’être concertés pour lui rendre la tâche de plus en plus pénible, parsemant sa route d’obstacles toujours plus difficiles à surmonter. Dans la fougue et le sentiment de détermination inébranlable que procure souvent la jeunesse, il avait naïvement cru que lui, Alix de Bronan, réussirait en quelques années, voire quelques mois, là où plusieurs avaient échoué après toute une vie. Des générations entières s’étaient ainsi succédé dans l’espoir de réaliser le rêve de leurs ancêtres : trouver les trônes de Darius et d’Ulphydius.

— Pour la survie de Naïla, je peux tenter d’amadouer ma consœur…

Alix se tourna vers Morgana avec une reconnaissance non feinte. Elle ne lui laissa pas la possibilité de s’épancher en vains remerciements.

— Attends avant de me témoigner la moindre reconnaissance. Connaissant Wandéline mieux que quiconque, je ne crois pas qu’elle appréciera mon intrusion dans sa vie privée.

Le jeune homme se rembrunit aussitôt, son enthousiasme grandement tempéré. Il ne lui restait plus qu’à espérer.

Morgana étant convaincue que les échanges avec sa consœur pourraient prendre du temps, il fut convenu qu’Alix rentrerait chez lui. Elle lui ferait savoir, par télépathie, le résultat de ses démarches. Avant qu’il ne parte, Morgana lui annonça cependant une nouvelle qui lui enleva un certain poids.

— Tout le temps que Naïla vivra dans le monde qui l’a vue naître, tu ne devrais pas être ennuyé par ton rôle de Cyldias…

Alix eut une moue sceptique, même s’il avait déjà remarqué que ses cicatrices ne semblaient pas souffrir du départ de la jeune femme. Il se garda bien de mentionner sa rencontre avec son père et les problèmes de déplacement qu’il avait eus ensuite. Morgana sourit.

— Je comprends que tu n’y crois qu’à demi et c’est mieux ainsi parce que cet état de choses ne dure normalement que si elle ne croise aucune magie sur sa route…

 

* *

*

 

Alix avait quitté la montagne, las à l’idée de retourner sur ses terres dans une pénible attente. Il n’avait de cesse de se demander s’il s’inquiétait davantage pour la vie de la jeune femme ou s’il s’alarmait plutôt de devoir attendre la venue d’une autre Fille de Lune au potentiel aussi grand que celui de Naïla.

Il arriva chez lui au milieu de la nuit, sur un cheval emprunté à un ami fidèle. Sa femme ignorant presque tout de sa véritable vie, il ne pouvait rentrer à pied sans éveiller ses soupçons. Et Dieu seul savait combien Marianne en nourrissait déjà à son égard. Évidemment, il aurait préféré rester éloigné quelque temps, craignant que la rancœur suscitée par le rôle qu’avait joué son épouse dans le calvaire de Naïla ne vienne menacer le semblant de paix qu’il parvenait à maintenir dans son foyer.

Alix se rendit directement aux écuries. Levant la tête vers le ciel abondamment étoilé, il se demanda une fois de plus si le destin des Êtres d’Exception était réellement tracé à l’avance comme le lui avait dit Wandéline ou s’il y avait toujours une large part d’imprévus et de changements inévitables. Plus que tout autre, il était convaincu que rien ni personne n’avait un destin immuable. Il préférait ne pas penser qu’il pouvait se tromper. C’était précisément cette confiance inébranlable dans le fait qu’il était seul maître de son avenir qui lui permettait de tenir le coup, à chaque lever du jour.

Il délaissa la vision rassurante des astres pour celle plus terre-à-terre de l’écurie. Il y dessella son cheval, lui donna de l’eau ainsi qu’une large part de fourrage avant de refermer le box. Il se laissa ensuite glisser le long de la porte de ce dernier et s’assit par terre, toujours aussi peu pressé de regagner la maison. Immobile, il regarda à nouveau la voûte céleste par la porte restée ouverte. Des images de Naïla s’imposèrent alors à lui. Le visage de la Fille de Lune persistait à flotter dans son esprit, ramenant avec lui une kyrielle de souvenirs. Son imagination s’emballa au rappel des rares baisers qu’ils avaient échangés. Troublé, il se rendit compte que certaines parties de son anatomie réagissaient beaucoup-trop fortement à son goût à ces réminiscences. Il tenta d’orienter sa pensée vers un sujet moins propice aux réactions physiques douteuses, de même qu’à la nostalgie. Peine perdue ! Son corps faisait abstraction de sa conscience qui le torturait. Il s’obligea néanmoins à réfléchir à la situation possible de la jeune femme. Elle était peut-être en grave danger, dans un univers sans commune mesure avec le sien une fois de plus. La seule chose dont il était certain, c’est qu’elle était toujours vivante. Il n’avait nul besoin de son rôle de Cyldias pour s’en convaincre.

Il avait veillé, à leur demande ou non, sur des êtres différents, mais surtout étranges, pendant plusieurs années, apprenant ainsi à reconnaître les signes avant-coureurs de la mort imminente d’un protégé au même titre qu’il pouvait garantir de leur survie, même dans un autre monde. Pourquoi en était-il ainsi ? Il n’en savait rien. Il s’y était habitué, tout simplement. Un cheval hennit dans une stalle, ramenant brutalement Alix à la réalité. Il se leva et s’ébroua. Il dut se rendre à l’évidence que, comme les brins de paille qui s’accrochent aux vêtements, certains souvenirs refusent qu’on les abandonne. Résigné, il se dirigea vers le manoir.

Il évita la chambre conjugale, pour gagner plutôt son bureau, seul refuge dans cette maison qui lui restait étrangère.

Il ferma la porte puis se laissa choir sur un vieux fauteuil, dans un angle de la pièce. Là, il ferma les yeux, réfléchissant une fois de plus à la meilleure façon de retrouver Naïla. Il ne croyait guère aux chances de réussite de Morgana, Wandéline n’avait pas vécu si longtemps en faisant le genre de cadeau qu’Alix espérait de sa part. Sur ces sombres pensées, le sommeil s’empara de lui et les cauchemars lui tinrent bientôt compagnie.

Il se réveilla en sursaut, aux premières lueurs de l’aube, jetant des regards frénétiques autour de lui. Rassuré, il referma les yeux, s’appuyant au dossier du fauteuil. Il attendit que les battements de son cœur retrouvent un rythme normal avant de soulever à nouveau les paupières. La crainte de voir ses cauchemars le poursuivre jusque dans la réalité le hantait de plus en plus souvent ces derniers mois, lui qui s’enorgueillissait de ne craindre rien ni personne. Toutefois, il en avait trop vu dans la dernière décennie pour que ses nuits soient propices au repos véritable. Elles devenaient plutôt un terreau fertile où renaissaient des êtres oubliés et des créatures légendaires, pourtant tout à fait réels dans une section de sa mémoire qu’il s’efforçait de stimuler le moins possible.

Étrangement, c’est également dans cette section qu’il classait les souvenirs se rattachant à Naïla. Aurait-il assez d’espace, dans ce recoin de mémoire, pour enfouir ce qu’il appréhendait de devoir affronter dans les prochaines années ? Pas un instant, il ne doutait que ce qui y résidait déjà n’était qu’une infime partie de ce que la vie lui réservait.

Alix se leva avec résignation, craignant de sombrer dans une suite interminable de pensées destructrices. Il sortit, sans même un regard vers la chambre où dormait Marianne, et descendit aux cuisines, attrapant un morceau de pain au passage. Il gagna l’étable, en retrait du bâtiment principal.

Depuis nombre d’années déjà, les hommes travaillant sur le domaine rencontraient le maître de céans en de très rares occasions, faisant plutôt affaire avec Jasnin, l’intendant. Ce matin, Alix ne put qu’apprécier cette absence d’intimité avec les employés. Plus que jamais, il se sentait étranger sur ces terres qui lui appartenaient, ses préoccupations étant à des milliers de lieues de la réalité quotidienne de ceux qui veillaient à la bonne marche du domaine. N’eut été du fait qu’il avait besoin de cette couverture pour ses autres activités, il y a bien longtemps qu’il ne viendrait plus ici. Il avait cru autrefois que son mariage lui donnerait une puissante raison de revenir régulièrement, mais il avait vite déchanté, constatant que les unions d’accommodement avaient davantage de défauts que de qualités. Chaque nouvelle visite se terminait dans les larmes ou les grincements de dents, exacerbant son désir de mettre un terme à cette mascarade. Dommage que ce ne fut pas possible…

D’un pas vif, il traversa l’étable, jetant un œil distrait aux employés, et se dirigea vers l’escalier qui menait à la tasserie, persuadé d’y trouver Zevin.

Alix s’arrêta à quelques mètres du guérisseur qui dormait profondément, aidé en cela par le contenu de la bouteille maintenant vide gisant à ses côtés. Près de trois mois s’étaient écoulés depuis la première rencontre de Zevin avec Naïla, mais les souvenirs alors ranimés ne semblaient pas vouloir regagner les replis d’où ils avaient surgi avec tant de force, dévastant la vie du jeune homme. Alix hésita, tiraillé entre son besoin de parler avec Zevin et la sagesse de faire demi-tour. Au moins, pendant son sommeil, son ami n’avait pas à affronter la triste réalité qu’il s’efforçait de fuir depuis près de trois ans déjà. Nostalgique, Alix se remémora brièvement l’existence simple et heureuse du guérisseur avant sa rencontre décisive avec Mélicis. Pourvu que l’avenir ne lui réserve pas le même calvaire.

Sa décision prise, il se pencha vers son compagnon et le secoua doucement par l’épaule. Ce dernier grogna, avant de se tourner sur le côté, marmonnant quelques paroles inintelligibles. Alix préféra ne pas insister. Il s’en retournait lorsque Zevin ouvrit un œil.

— J’espère que les nouvelles que tu m’apportes sont dignes d’intérêt pour que tu te permettes de me tirer d’un sommeil entamé il y a quelques heures à peine.

— J’ai bien peur que ce ne soit pas le cas. Mais j’avais trop besoin de ton opinion pour attendre que tu veuilles bien reprendre pied dans le monde des vivants.

Zevin feignit de ne pas saisir l’allusion à peine voilée. Alix renonça à poursuivre dans cette direction, sachant que certaines blessures restaient vives pendant de trop nombreuses années.

— Elle est partie malgré tout ?

Trop directe, la question prit Alix au dépourvu. Inconsciemment, il détourna les yeux, regardant l’horizon par une petite ouverture en saillie. Il comprenait mal pourquoi il se sentait soudain gêné.

— Tu crains de finir par me ressembler, n’est-ce pas ?

La question avait été posée sans méchanceté aucune, avec douceur. C’est toute la souffrance qu’elle contenait qui fit l’effet d’un coup de poignard à Alix.

— Ne t’inquiète pas. Au moins, la tienne est toujours vivante…

— Oui, mais pour combien de temps ? lança le Cyldias, amer.

Il se mordit la lèvre, conscient de son égoïsme. Il se sentait soudain si impuissant… Il se retourna vers son ami, qui lui fit signe de s’asseoir à ses côtés. Alix s’exécuta, ne sachant que faire d’autre. Il était venu dans l’intention de discuter avec détachement de Naïla, comme il l’avait si souvent fait pour ses missions précédentes. Il avait maintes et maintes fois échangé avec Zevin, revoyant des stratégies, élaborant des plans et des hypothèses, protégeant ainsi efficacement, et sans jamais faillir, des vies qui lui étaient habituellement étrangères, mais surtout indifférentes.

— Tu ne m’as jamais cru quand je t’avertissais qu’un jour la situation t’échapperait ; tu disais que j’avais manqué de vigilance, que j’avais laissé Mélicis se rapprocher de moi et percer mes défenses au lieu de garder mes distances, de m’en tenir à mon métier de guérisseur…

— Et tu m’avais répondu que je ne pouvais pas comprendre, que l’amour échappait à toute forme de contrôle, qu’un jour je verrais et que ce serait à toi de me faire la morale…

Malgré les souvenirs que cette conversation devait nécessairement ramener en lui, Zevin sourit.

— Que veux-tu que je te dise ? reprit Alix. Que j’avoue que tu avais probablement raison et moi tort ou que…

Zevin l’interrompit.

— Non. Tu as malheureusement appris avec l’expérience ce que de longs discours ne seraient jamais parvenus à te faire comprendre… Je n’ai nullement l’intention de tourner le fer dans la plaie, je me doute qu’elle est suffisamment vive…

Il n’y avait aucune amertume dans le ton. Juste de la compréhension et beaucoup de compassion. Alix ne put qu’admirer son compagnon, remerciant le ciel que leur amitié soit si solide.

— Et si tu me racontais ce qui est arrivé pendant mon retrait temporaire de la civilisation, demanda Zevin, après s’être tout de même autorisé un long soupir douloureux.

Alix résuma les événements des dernières semaines, tâchant de ne rien omettre. Il passa seulement sous silence son bref moment d’intimité avec Naïla. Ce souvenir ne faisait qu’accentuer son inquiétude et le sentiment permanent de danger qu’il tentait de faire taire en lui. Zevin n’essaya même pas de le persuader qu’il était dans l’erreur à propos du voyage de Naïla. Le guérisseur avait depuis longtemps appris à respecter l’instinct de son compagnon.

— Tu n’as vraiment pas la moindre idée de l’endroit où elle a pu se retrouver ? Peut-être n’est-elle qu’à quelques années de distance de celle qu’elle voulait rejoindre. La sensation serait la même, non ?

Dans un geste d’impatience, Alix se passa une main dans les cheveux.

— Tout ce que je peux certifier, c’est qu’elle n’est pas revenue au moment où elle le souhaitait. Je suis porté à croire qu’elle est loin de sa destination ou dans une époque trouble parce que le sentiment d’urgence que j’ai ressenti avait quelque chose d’effrayant.

Considérant un instant que Wandéline répondrait favorablement à la demande d’aide, Zevin s’enquit :

— Lorsque tu sauras où elle se trouve, que comptes-tu faire ?

Alix reporta son attention sur la petite fenêtre, convaincu que Zevin devinerait ses intentions mieux que quiconque. Il avait toujours eu de la difficulté à lui cacher quelque chose.

— Ne me dis pas que tu songes à faire une telle folie ?

Alix s’abstint de répondre, ce qui représentait un aveu en soi.

— L’exemple de Nathaël ne te suffit pas ? Naïla t’a confirmé sa mort et ce que nous avons toujours soupçonné : même un Être d’Exception aux talents hors du commun ne survit pas à la traversée. Tu ne comprends donc pas ? Les talismans, les formules magiques, les longs mois de préparation, l’aide de Morgana, rien de tout cela n’a pu le sauver. Il est mort avant même d’avoir pu faire quoi que ce soit dans le monde de Brume.

Zevin marqua une pause, pensant manifestement que son compagnon lui répondrait, se défendrait. Mais ce dernier ne dit rien, se contentant de fixer l’horizon. Alix se garda bien de mentionner que c’était probablement Andréa qui avait tué Nathaël et non la traversée…

— Ne va surtout pas croire que je te laisserai risquer ta vie de cette façon sans rien faire pour t’en empêcher. Je ne peux tout simplement pas…

Par une simple question, Alix mit abruptement fin au discours de Zevin.

— Tu aurais laissé Mélicis mourir seule, loin de toi, sans rien tenter pour lui sauver la vie ?

— Parfois, j’ai l’impression que c’est exactement ce que j’ai fait et je ne cesse de me le reprocher.

— Tu devrais donc comprendre ! Ma condition de Cyldias signifie que, si Naïla trépasse, sa mort entraînera inévitablement la mienne puisque, bien malgré moi et considérant que j’y ai mis un minimum de bonne volonté, il semble que je sois en train de tomber amoureux d’elle… Et comme je suis trop jeune pour mourir…

Il y avait autant de lassitude que d’ironie dans la dernière réplique. Zevin baissa les yeux, impuissant. La situation d’Alix dépassait l’entendement.

— Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle je suis prêt à tenter ma chance dans le passage maudit, murmura Alix, après un bref silence.

— Et je peux savoir ce qui te fait croire que tu réussiras là où plusieurs ont perdu l’apparence humaine, la raison ou la vie ?

— J’ai omis un détail, annonça Alix, légèrement mal à l’aise.

Le Cyldias avait préféré taire à son ami d’enfance, pour un certain temps du moins, les révélations de Foch sur ses origines, de même que sa rencontre avec son père. Il se rendait maintenant compte qu’il ne pouvait continuer ainsi. Même s’il ne lui plaisait pas d’étaler ses origines présumées, il n’avait guère le choix. Alix savait fort bien que les hybrides – à l’image des Édnés – avaient de très fortes chances de pouvoir traverser par les passages sans avoir besoin de la moindre protection. Il ignorait, par contre, quel était le châtiment que Darius leur avait réservé s’ils s’exécutaient ; il doutait que le grand Sage ait permis pareille dérogation sans sévir. Par ailleurs, Ulphydius avait réussi avec une facilité déconcertante à voyager dans le temps et les mondes ; ce que personne n’avait jamais compris. Alix espérait que c’était une caractéristique propre à tous les enfants mystiques. Il confia donc ses secrets à Zevin.

— Si tu es réellement un enfant mystique, ton père ne peut pas être humain. À moins que j’aie mal compris ? grogna Zevin, légèrement énervé.

Ces révélations ne lui plaisaient pas du tout.

— Si deux Édnés peuvent donner un enfant humain, je ne vois pas pourquoi un humain et une Édnée ne pourraient pas arriver au même résultat, répliqua Alix, exaspéré.

— Peut-être. Mais dans ce cas, tu ne serais pas un enfant mystique, mais seulement un hybride et…

Zevin s’interrompit un instant en voyant gronder l’orage dans les yeux d’Alix. Il valait mieux ne pas s’obstiner. Mais le guérisseur ne pouvait s’en empêcher, tellement sa volonté de nier l’évidence était grande. Il reprit donc :

— Penses-y un peu ! Si tu n’es pas réellement un enfant de la nuit, tu ne peux tout simplement pas…

— Ça suffit comme ça ! Cette histoire d’enfant mystique ne me plaît pas plus qu’à toi, mais je suis bien forcé d’admettre que ce que Foch raconte a du sens et que ma tache de naissance en forme de dragon est bien réelle. Alors, on va partir de ce point de vue et tâcher de voir si ça peut m’aider. Tu es avec moi ou pas ? Sinon, je ne te retiens pas, conclut Alix d’un ton cassant.

Que Zevin s’interroge ainsi ravivait les propres questionnements du Cyldias et cela l’énervait. La seule explication qu’il ait trouvée était celle qu’il avait énoncée à son ami. Que dire de plus sinon qu’il manquait de temps ?

— Bon, bon, ne te fâche pas ! C’est juste que…

— Tu n’aimes pas l’idée que j’aie des affinités ou une quelconque ressemblance avec Ulphydius, je sais. Crois-moi, ça ne m’amuse pas non plus, mais je n’y peux rien alors autant en tirer parti.

— Tu ne portes même pas la marque des élus ! s’entêta Zevin.

Il y avait tout de même une certaine forme d’interrogation dans la dernière phrase, comme si le guérisseur soupçonnait son vieux copain de lui cacher encore quelque chose.

— Tu sais aussi bien que moi que je n’ai pas de tache de naissance en forme de croissant de lune, maugréa Alix. Contrairement à ce que l’on nous enseigne, cette marque n’est probablement pas indispensable aux hybrides. Il se peut aussi que, à l’instar des yeux des Filles de Lune, les porteurs puissent la dissimuler à ceux qui n’ont pas les mêmes caractéristiques.

Le regard de Zevin refléta un profond scepticisme.

— Et tu te la dissimules à toi-même ? répliqua-t-il, sarcastique.

— Bien sûr que non ! Mais imagine un instant que la marque ait été effacée magiquement quand je suis né, justement pour que je ne sois pas l’objet d’une traque aussi destructrice que celle subie par les Filles de Lune. Andréa a bien réussi à berner tout le monde en donnant naissance à Naïla sur Brume, rétorqua Alix, excédé. Le fait que son père soit un Être d’Exception ou un Sage dont on ne connaît rien, semble-t-il, est un exploit digne de mention.

À ces mots, Alix détourna la tête, regardant au-dehors. Les doutes qu’il nourrissait sur le père de Naïla le hantaient.

— Cela illustre à quel point un grand nombre de faits nous est encore inconnu et…

— Justement ! Ce qui me fait dire que tenter une traversée frise la folie, persista Zevin.

— Au contraire. Si je suis né sur Bronan, comme le pense Foch, il a bien fallu qu’un de mes parents traverse le temps et l’espace à un moment ou un autre pour qu’ils puissent se rencontrer. Comme une Édnée passerait difficilement inaperçue, je présume que c’est mon père qui a fait le voyage. Pour l’avoir vu, il semble s’en tirer plutôt bien alors je ne vois pas pourquoi je…

— Ça va, ça va, capitula Zevin. Alors, on fait quoi maintenant ?

— Notre possible…, rétorqua Alix, à bout de patience.

 

Le talisman de Maxandre
titlepage.xhtml
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Tremblay,Elisabeth-[Filles de Lune-3]Le talisman de Maxandre(2009).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html